DRAGONAUT – Violences Sexistes

fight

Très récemment, une chroniqueuse que j’aime suivre, Jack Parker, a publié un récit d’une seconde agression qu’elle a subi dans le métro parisien et à laquelle elle a vivement réagit (le récit de la première se trouve ici ) Les réactions de soutien ont été aussi massives que la virulence de certains propos à son égard. D’autres ont aussi semblé lever les bras au ciel en s’écriant « Mais c’est incroyable ! » . Non. Ce n’est pas incroyable ni exceptionnel de se faire agresser. Mais oui, c’est un réèl problème. Je collabore depuis un moment avec le projet POLYVALENCE / Projet VS (comprendre « Violences Sexistes ») . Il s’agit d’un recueil évolutif de textes éloquents. Voici un nouveau témoignage que j’apporte, une histoire parmi tant d’autres que j’ai vécues. Mais celui-ci, assez analogue, est motivé, remémoré grâce à celui de Jack Parker, que je remercie profondément et à laquelle j’apporte également tout mon respect et soutien, comme à tou-te-s celles et ceux qui….

DRAGONAUT.

À Sophie, Jack Parker et tout-e-s les autres…

( A lire en écoutant ce titre : SLEEP – Dragonaut )

Flashback. L’avenue déserte et dégagée. Pleine journée. Je marche d’un pas rapide et déterminé. Droit devant. Tenue correcte – comment est-il encore possible que je m’oblige à le préciser ? Empirique réflexe de légitimation, très surement. – Au loin, un gars, direction opposée, même cadence. Par habitude, j’anticipe le moment où mon corps va le croiser. Attitude neutre, regard fixé vers un point imaginaire traversant son enveloppe corporelle. Je prends trois secondes surréalistes à réaliser ce qui vient de se passer : une main au cul poussée d’un doigt intrusif en guise d’échange. Il continue sa route et sur le coup, j’ai continué la mienne, un peu trop sur ma lancée confiante.

Je stoppe net. Interloquée, bouche ouverte, ébullition sanguine, smog dans l’encéphale. Au plus profond de moi de moi, surpris, IL émerge et prend les commandes. IL me fait faire volte-face et d’une voix tout sauf fluette, me fais dire : « Quoi ? Tu as fais QUOI là ?! » La réponse ? Même dans un sketch avec des rires enregistrés, je ne l’aurais pas imaginée : « C’est bon, c’est pas moi ! »  À l’intérieur, IL se redresse de tout sont long, fou de rage, comme à son habitude. À l’extérieur, tout mute en western moderne : mes pupilles se dilatent, le ciel s’assombrit, des balles de coton imaginaires traversent l’avenue vide. En face, mon adversaire, à une distance favorable au duel. Je lance :  « Mais en plus, tu te fous de ma gueule ?! »

Au dedans, IL est près à sortir. IL est né de ces coups trop reçus qui ont transcendé toute peur de les recevoir, de l’anesthésie de la douleur physique qui ont fait sa force. IL est une entité composite de colère profonde, de fureur même, d’idéaux, de revanche, de violence et d’amour propre. Sa destinée, IL la connait : protéger coûte que coûte celles et ceux qui ont subi, subissent et subiront, celles et ceux qui ne sont pas doté-e-s de son abnégation des dommages collatéraux. IL se nourrit des états de fait de la souffrance des gens qu’IL aime ou parfois qu’IL ne connait pas. IL est à présent bien réveillé et sait trop bien ce qu’IL va faire pour s’octroyer le temps d’organiser un auto-référendum en interne, avec tous mes autres MOI à cet instant-même. 

IL guide mon corps qui fond sur ce mec, pourtant baraqué et patibulaire mais affaibli, face à la surprise de ma vive réaction que son sentiment d’ impunité n’attendait pas. Mon avant-bras droit plaque sa gorge contre le mur, tandis que mon poing gauche le gratifie d’un généreux taquet entre son thorax et son épaule gauche. Amnésie de ce que simultanément, je lui hurle.

À l’intérieur, j’essaie de le canaliser : je sais qu’IL souhaite beaucoup plus ; IL veut voir jaillir la couleur pourpre du sang, sentir des os se briser, entendre un muscle vital s’arrêter mais mon instinct de survie et sa pote la raison le dissuadent de continuer. IL est parfois un peu trop sûr de lui et nie les risques, jusque à en devenir parfois mon propre ennemi, IL le sait. Marche arrière, sans quitter l’autre du regard, tout en lui déversant un « Jamais plus mec !!! »

La distance physique est rétablie, tout comme l’opportunité pour l’autre de s’excuser, de rattraper un semblant d’intégrité et puis de tracer, mais il a trop mal à l’ égo, malmené par un mètre cinquante huit de légitime colère en face de lui. Il pense le réhabiliter par un « Va t’faire foutre ! » Replay. Second taquet. Mon avant-bras, sa gorge, le mur, mon poing gauche, son thorax, son épaule gauche et encore des flots de mots rageurs qui échappent à mon contrôle, guidés de l’intérieur. Trop déstabilisé, il finit par dégager fissa alors qu’il aurait très surement pu me démonter.

Dans moi, IL a fait son taf. Epuisé, IL se rendort, me laissant avec les jambes en coton, une respiration saccadée et des idées confuses. Un coup de fil à mon mec qui baigne dans l’incompréhension :  « Quoi ? Qui ? Où ? C’est quoi ce délire, calme toi, je ne pige rien !  » Laisse tomber chéri.

Une fois chez moi, j’essaie d’établir la médiation et l’équilibre de tous mes hôtes intérieurs pour expulser et passer outre. Je me contente d’exprimer et de relater les faits brièvement et publiquement sur le mur virtuel du gros réseau social. Les réponses ? Bigarrées.  Emphatiques, compréhensives, et parfois moins : « Encore ? Mais protège toi un peu plus ! » , « Arrête de prendre des risques inutiles », « Arrête de tout le temps t’insurger », « Ton idéalisme te perdra un jour », « C’est bien mais ça ne sert à rien ».

Le temps dilue les évènements et ses ressentiments. Une semaine s’écoule. Zen, je sors du métro et gravis les marches pour atteindre l’asphalte sociale. Soudainement, je ressens quelque chose d’oppressant. On me suit. Je renonce à m’y attarder une fois de plus. J’accélère le pas mais on me court après, m’interpelle, même : « Hey, attends ! » Je me retourne, surprise. Un inconnu. Il me fait face. « Je voulais te dire… Pour la dernière fois… Je n’aurais pas dû… Je voulais te dire que… Je suis désolé… Excuse moi. »

Moment de flottement. J’en veux à mon incurable manque de physionomie mais là, une ampoule tilte et s’allume. La même qui plus tard, diffusera une mince lueur d’espoir : c’est LUI. Déstabilisée, je négocie ferme avec les habitants du dedans et on s’accorde pour la jouer constructif, quitte à prendre un peu sur soi. Il est est toujours planté là. « OK. Contente de l’entendre. Tu sais, j’ai réagi aussi pour toutes les autres meufs qui…» Et lui : « Heu, oui oui, mais c’est bon là… Salut.» 

Ce n’était pas une réponse parfaite, tout n’est pas encore gagné mais à ce moment là, j’ai souris et à l’intérieur, une écaille lumineuse a poussé sur le front de mon dragon.

8 réflexions sur “DRAGONAUT – Violences Sexistes

  1. Pingback: DRAGONAUT | Polyvalence-mp

  2. Merde, ce texte a résonné un moi. J’aurai aimé avoir ton caractère, tes ILS. Les miens, eux, sont muselés, c’est minant. Un jour, quelqu’un m’a allègrement peloté le sein gauche. Je crois avoir voulu réagir ou mollement protesté mais l’agresseur a levé la main en signe de représailles. Il devait avoir une douzaine d’années. J’ai baissé les yeux et lui ai peut-être même souri bêtement, je ne me souviens plus.
    Un autre jour, on m’a violemment agressée dans un train. Je me suis vue sur un peloton d’exécution puis mon tombeau. Heureusement, IL s’est réveillé et nous nous sommes débattus.
    Parfois, mon instinct de survie me fait défaut, et ça m’embête.
    Beau texte by the way.

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      • Bonjour, et merci pour ton témoignage. Il n’y a pas de réaction parfaite ou idéale face à une agression, il n’y a que des situations qui ne devraient pas exister dans ces cas là. Peut être que justement, tu as davantage d’instinct de survie que moi en prenant moins de risques. L’essentiel est l’estime de soi. La violence n’est pas un super moteur dans la vie mais chacun tâche de positiver un maximum ce qui ne l’est pas pour faire au mieux 😉 Je te souhaite une bonne continuation et t’invite à parcourir le site de mon amie Tan, qui rassemble une flopée de témoignages équivoques : polyvalence-mp.com
        Si le coeur t’en dit, le tien a évidement sa place.
        Merci!

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  3. Je pense que le pire c’est d’en être venu à banaliser ces comportements : « bah oui, il essaie juste de me draguer, c’est pas bien grave » ou « il est juste bourré » ou « ça doit être de ma faute, je lui ai peut-être donner un signal ». Il faut faire gronder sa colère, ça a l’air de les surprendre, les déstabiliser. Je pense qu’en élevant la voix ou en exprimant sa colère, c’est refuser de banaliser ces situations et pousser aussi à ce que les choses changent. En tout cas, je t’admire pour ta réaction, le type a essayé de s’excuser (il a pas non plus voulu s’étaler trop longuement visiblement le con hein), il a dû quand même en tirer des leçons.
    Merci pour le lien. J’ai passé du temps à lire ces témoignages et c’est cool de voir qu’on est pas seules, et que non, ce n’est pas normal ce qui est arrivé. Bonne continuation pour ton blog!

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