Henry Miller / La Boutique du Tailleur + Plongée dans la Vie Nocturne

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L’écriture de Henry Miller a été ma torgnole littéraire de cette fin d’année 2012. Son écriture et sa forme m’a fait le même effet coup-de-poing salvateur que le set de Death Grips en concert au Magasin 4 ou de la patate prise en pleine poire au même endroit dans le pit durant le concert de Kickback : Stupre et sueur, rage et vie, amour et exhalation, cynisme et hurlements, tout y est. Les auteurs de la Beat Generation et leurs évidentes inter-connections, au fil de mes choix contingents de lectures commencent à devenir pour moi plus évidents. Henry Miller, lui, a choisi de ne pas choisir entre roman, autobiographie et autofiction, tout y est imbriqué. Peu de gens le citent lorsque l’on évoque la libération des meurs putrides et puritains à la fin des années 60 et pourtant….

Il y a tant à dire sur Miller et sa plume d’une telle dévastatrice liberté de ton et de ses figures stylistiques si jouissives… Dès que je le peux, je me jette à corps perdu dans son œuvre foisonnante et pour l’heure, je crie au génie bordel.

Extrait de la première nouvelle “La Boutique du Tailleur” (Je fais impasse sur “Plongée dans la vie Nocturne”, seconde nouvelle de ce mini-recueil édité par Folio, même si celle-ci est tout à fait géniale et différente, à vous de me dire si vous en souhaitez encore…)

« Toujours vif et joyeux, telle est ma devise! » (gimmik répété durant toute la nouvelle faisant également guise de préface)

« La journée commençait ainsi: « Demande à Un tel un petit quelque chose en acompte mais surtout, ne l’offense pas! » C’est qu’ils étaient chatouilleux tous ces vieux cons de nos clients. Il y a avait bien de quoi pousser le meilleur des hommes à boire. Nous étions installés juste ne face de l’Olcott, Tailleurs de la Cinquième avenue, bien que nous ne fussions pas sur l’avenue elle même. Association du père et du fils, avec la mère pour s’occuper du pognon »

”(…) R.N. avait naturellement une excellente excuse pour ne pas aller à l’enterrement -il  n’avait plus de jambes. Quand à H.W. il était bien trop rat et trop orgueilleux pour s’inquiéter même d’en donner une.”

« Ah oui! Je les connaissais bien, tous ces couillons à doublure de soie! Nous avions les meilleures familles d’Amérique sur nos listes. Et quelle puanteur, quelle ordure quand ils ouvraient leur sales gueules! Il semblait que se déshabiller devant leur tailleur les contraignit à décharger leurs cochonneries accumulées dans les égouts obstrués qu’étaient devenus leurs cerveau. Toutes les belles maladies de la richesse et de l’ennui. Ils parlaient d’eux mêmes jusqu’à la nausée. Toujours « moi », « moi! » Moi et mes reins. Moi et ma goutte. Moi et mon foie. Quand je pense aux terribles hémorroïdes de Paul, à la merveilleuse fistule guérie, à tout l’amour et la sagesse qui résultèrent de ses atroces blessures, il me semble alors que Paul n’appartenait pas à notre âge, mais qu’il était le frère juré de Moïse Maimonides, qui, au temps des Mores, nous donna ces extraordinaires et savants traités sur « les hémorroïdes, les verrues, les boutons » etc. Pour tous ces hommes que le vieux avait tant chéris, la mort fut prompte et inattendue. Dans le cas de Paul, cela se produisit au bord de la mer. Il se noya dans un pied d’eau. Arrêt du cœur dit-on. C’est ainsi qu’un beau jour Cora sortit de l’ascendeur, vêtue de ses beaux voiles de deuil, et nous inonda de larmes. Jamais elle ne m’avait paru aussi belle, aussi svelte, aussi sculpturale. Son cul en particulier. »

”(…) et nous voila partis, toute la famille, pour rejoindre les autres caprices de la nature qui formaient les rameaux de l’arbre familial. J’ai toujours été ahuri de la gaieté qui régnait dans ma famille, malgré toute les calamités qui ne cessaient de nous menacer. Gais en dépit de tout! Il y avait le cancer, l’hydropisie, la cirrhose du foie, la folie, le brigandage, le mensonge, la pédérastie, l’inceste, la paralysie, les vers solitaires, les avortements, les tri-jumeaux, les idiots, les pochards, les bon-à-rien, les fanatiques, les marins, les tailleurs, les horlogers, la scarlatine, la coqueluche, la méningite, les otites suppurantes, la danse de Saint-Guy, les bredouilleurs, le gibier de prison, les rêveurs, les fabulateurs, les barmans -et enfin il y avait l’oncle Georges et Tante Mélie. La morgue et l’asile d’aliénés. Une bande de rigolos, et la table, toujours chargée de bonnes choses -choux rouges et salade verte, rôti de porc, dindon et choucroute, kartoffel-klöze au jus noir et aigre, radis et cèleri, oie farcie et pois et carottes, beaux choux-fleurs blancs, compote de pommes et figues de Smyrne, bananes aussi grosses qu’une matraque, gâteaux à la cannelle et Streussel Kuchen, gâteau au chocolat et noix de toute espèce, noix simples, noix huileuses, noix pécan, noix hikory, amandes, bières en tonneau et bière en bouteille, vins rouges et blancs, champagne, kümmel, malaga, porto, schaps, fromages très forts, fromages sans goût et innocents, Hollande insipide, limburger et schmierkäse, vins maison, vin de sureau, cidre sec et doux, puddings au riz et au tapioca, châtaignes rôties, mandarines, olives, cornichons, caviar rouge et noir, esturgeon fumé, meringues au citron, biscuits à la cuillère, éclairs au chocolat, macarons, mille feuilles à la crème, cigares noirs, long Virginia maigres, tabac Bull Durham et tabac Long Tom, meerschaums, épis de maïs et cure-dents en bois qui vous donnent des abcès aux gencives le lendemain, serviettes immenses avec les initiales brodées dans le coin, et un feu de charbon ronflant et les fenêtres couvertes de buée, tout au monde, sauf un rince-doigts.”

”(…) A la même heure, vers la brune, Mme Lawson traverse le cimetière pour jeter un dernier coup d’œil sur la tombe de son fils chéri. Son cher petit Jack, dit elle, encore qu’il eut trente-deux ans quand il fit la culbute deux ans plus tôt. On dit que c’était un rhumatisme du cœur, mais le fait est que le cher garçon avait bousculé tant de vierges vénériennes que lorsqu’on lui sortit le pus qu’il avait dans le corps, il puait comme une pompe à merde. Mme Lawson ne se rappelle pas du tout cela. C’est son cher petit Jack chéri, et sa tombe est toujours soignée. Elle porte une petite peau de chamois dans son sac, afin de polir la pierre tous les soirs.”

« C’est d’une beauté bouleversante à cette heure où chacun semble suivre son propre chemin. L’amour et le meurtre, je les sens se rapprocher avec la nuit: nouveau nés issus des matrices, rose et tendre chair qui sera prise dans les barbelés et hurlera toute la nuit, et pourrira à des milliers de kilomètres de nulle part. Vierges folles, aux veines pleines de Jazz congelé, poussant les hommes à construire de nouveaux buildings, hommes aux colliers de chiens autours du cou, pataugeant dans la merde jusqu’aux yeux, afin que le tsar de l’électricité puisse régner sur les ondes. Ce qui est encore dans la graine me fait pisser le sang d’épouvante: Un monde flambant neuf sort de l’œuf, et si vite que j’écrive le vieux monde ne meurt pas assez vite. J’entends les mitrailleuses nouvelles, et les millions d’os qui éclatent en même temps. Je vois des chiens devenir enragés, et des pigeons qui s’abattent avec des lettres attachées aux pattes. »

« Une brume tiède et étouffante s’étend sur la ville comme une coupe de graisse, la sueur dégouline entre les jambes nues, autour des fines chevilles. Masse visqueuse de bras et de jambes, de demi-lunes et de girouettes, de rouge-gorges et de rondes-gorges, de volants et de bananes luisantes, avec la pulpe légère d’un citron dans le calice de l’écorce. Cinq heures sonnent dans la saleté et la sueur de l’après-midi, raie d’ombre brillante projetée par les poutres de fer. Les trams roulent en rond avec leur mandibules de fer, croquant le papier mâché de la foule; et l’avalent en spirale comme un ruban de tickets poinçonnés”

Henry Miller/ Extraits de “” (Suivi de “”/ Edition Folio 2€/  Nouvelle elle-même issue du recueil “Le Printemps Noir” / 1936 / Lu en Décembre 2012

 

 

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