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Orgasmorama : du Sexploitation sur les murs
ART
by Carolyne Missdigriz | on juillet 31st, 2013
Sexploitation, wadesda? Il s’agit en l’occurrence d’un sous-genre cinématographique associé au cinéma d’exploitation, cheap et peu regardant quant aux critères artistiques et moraux. Destiné à rapporter du pognon en surfant sur certaines modes et exercices de style, il a donné lieu, entre autres, au style Sexploitation : des nanars érotiques où fleurissait la nudité gratuite. Les affiches de ces films ont d’ailleurs souvent plus de valeur artistique que la pellicule, et c’est donc en leur honneur qu’est organisée cette exposition savoureuse. Nous avons rencontré Jimmy Pantera, l’homme que l’on doit remercier pour Orgasmorama.
Bloquez votre jeudi ou vendredi soir : l’expo se clôture cette semaine.
L’exposition Orgasmorama est visible au Recycl’art jusqu’à la fin de la semaine : De 19h à 1h – Recyclart : 21 rue des Ursulines – 1000 BruxellesSalut Jimmy Pantera. T’es qui ? Un fan du groupe des frangins Abbott ?
Haha ! Non, mon pseudonyme d’artiste vient d’une affiche de cinéma et dès que je l’ai vue, je me suis dit : « C’est vraiment le nom que je vais choisir maintenant » ! À cette époque-là, je n’avais pas encore publié de bouquins, je n’avais pas encore fait d’expos et je n’avais pas encore de travail à montrer, mais j’avais déjà l’idée de choisir ce nom pour emmener les lecteurs ou les spectateurs des expositions vers une espèce de monde un peu mystérieux et exotique, ce que ce nom évoque : ça fait un peu lanceur de couteaux mexicains dans un cirque ! C’est un petit peu ça que j’essaie d’évoquer en présentant mon travail avec ce nom-là .
En plus de l’univers Sexploitation, j’ai cru comprendre que tu étais un fan de catch mexicain. Il y a un lien ? Tu le vis bien ?
Il y a une variante du strip-tease qui s’appelle Apartment Wrestling : ce sont des performances qui mélangent catch et érotisme. À ça, on peut aussi ajouter les stripteaseuses qui se battent dans la boue ou dans l’huile mais par rapport à ma démarche personnelle, j’ai effectivement commencé par le catch mexicain.
…Mais nooon, tu es l’auteur de ce formidable livre dont je suis fan, Los Tigres del Ring? !
Oui, c’est avec ça que j’ai sorti mon tout premier livre Los Tigres Del Ring et mon intérêt principal dans cette démarche, c’est que je suis vraiment intéressé par ce que l’on appelle ‘la vraie culture de la rue’ : pour moi, le cinéma porno-érotique et le catch sont issus d’une culture populaire que l’on ne trouve pas dans les musées, ni dans les guides touristiques ni non plus chez les représentants officiels de la Culture avec un C majuscule. Là, on est dans des mondes un peu mystérieux, dans des salles obscures… C’est vraiment ça qui m’intéresse !
D’ailleurs, le catch et sa représentation populaire, c’était un bon dada de Roland Barthes, non?
Oui, bien sûr, il a vraiment étudié ça dans son livre Mythologies : il a consacré tout un chapitre au catch qui dans les années ’60 était vraiment extrêmement populaire en France. Au Mexique, cette discipline est toujours restée très popu. Je suis donc allé là-bas. J’ai vraiment exploré cet univers en rencontrant des catcheurs et toute une série de personnes qui travaillent aussi dans ce domaine et des artistes très inspirés par cette culture donc après ça, je suis passé au cinéma d’exploitation érotique puisque pour moi ce sont des mondes qui sont très proches.
Tu connais le Cholitas Wresling?
Oui, ce sont des femmes qui font du catch avec des jupes, en Bolivie, habillées de costumes typiques. Mais oui, on retrouve le catch dans toutes sortes de cultures. Je pense en particulier à la Russie et à tout ce qui est ex-républiques soviétiques ; en Turquie aussi, où le catch est extrêmement bien répandu et populaire. Moi, je me suis davantage penché sur le catch mexicain parce que ça s’éloigne du sport, on est dans autre chose. Il entretient une espèce de zone frontière avec la religion. J’ai vu des femmes faire bénir leur bébé durant l’entrée sur scène des catcheurs, avant le combat. Il établit des tas de passerelles vers le cinéma et d’autres disciplines. On a rarement vu des rapports aussi riches que le catch mexicain a pu avoir avec la sculpture, avec la peinture, avec la photo… La boxe par exemple est aussi un univers fascinant mais cela reste un sport. Pour en revenir aux femmes, il y a beaucoup de catcheuses au Mexique, issues de longues dynasties familiales dans le milieu. Ce sont des sortes de super héroïnes du quotidien. On trouve aussi une catégorie de nains et aussi, les exoticos, les catcheurs travestis. Voir ça en spectacle, c’est assez exceptionnel !
Maintenant, parles-nous d’orgasme ! Enfin, d’Orgasmo, ton dernier projet livre, qui trône sous nos yeux…
Après avoir sorti Los Tigres Del Ring, deux créateurs d’une maison d’édition, Serious Publishing, m’ont associé à ce projet. Le premier travail que l’on a effectué, c’était de sortir le DVD d’un film qui n’existe pas, réalisé par un faux réalisateur porno américain qui bossait pour la mafia dans les années ’60. Il a dû s’exiler en Suisse parce qu’il était recherché. Le film est constitué de centaines d’extraits de films pré-existants. C’est une sorte de cadavre exquis.
Ou une sorte de Grand Détournement, sauce malibu-porno-belge ?!
Oui, on s’est effectivement inspiré de l’esprit. C’est un film qui s’appelle Peep Show. Suite à ça, on a décidé de sortir le dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 mm. C’est un travail de titan qui reprend 1600 films avec une équipe de 15 personnes. Chaque film a vraiment été décortiqué à tous les niveaux : technique, scénario et surtout censure. On a tendance à l’oublier.
Oui, la censure, c’est ce qui a provoqué le début et la fin du genre dans les salles de cinéma ?
Moi, je pense que ce qui a provoqué la disparition de tout ce cinéma, c’est effectivement d’une part l’arsenal législatif et judiciaire qui a fait en sorte que à partir de 1975 en France en tous cas, ces films étaient obligés de passer devant une commission et celle-ci attribuait un classement. Donc le film qui était classé X devait obligatoirement être diffusé dans un circuit de salles spécialisées, dites « salles X ». À partir de ce moment là, ce cinéma a considérablement perdu de sa vigueur. Le phénomène n’a pas touché que la France : en Turquie, ça a été la même chose. On avait dans les années ’70 un cinéma qui n’était pas que érotique et pornographique. Il y avait un véritable cinéma populaire avec beaucoup de films d’action, des policiers, des westerns, de la science fiction, des films fantastiques… Suite à un coup d’état militaire turc en 1980, il y a vraiment eu un retour très conservateur prônant la morale, la religion et ce cinéma à quasiment disparu. Et aussi, fin ’70 et début ’80, on a vécu toute la disparition du cinéma populaire européen des années soixante. Tout ça est lié à des causes économiques et à la suprématie du cinéma américain : il a vraiment mis la main basse sur le cinéma populaire. Par exemple, cette affiche Vampyros Lesbos, c’est une coproduction hispano-allemande tournée à Istanbul !
Une vraie synergie européenne ! Justement, en parlant des affiches de l’expo, on remarque des noms étonnants : Max Pécas, Vuile (NDLR: Le papa cinéaste d’un pote Toulousain, WTF!)Klaus Kinski…
Oui, ce qui s’est passé, c’est que ce cinéma largement répandu en Europe a été victime de plusieurs choses : c’étaient des productions de moindre coût censées rapporter un maximum, mais au bout d’un moment, les progrès techniques n’ont pas été à leur portée et les maisons de productions avec peu de moyens se sont retrouvées dépassées. Ça a aussi entrainé un désaveu du public, qui progressivement se tourne vers les productions américaines, plus efficaces, mieux réalisées, avec un marketing plus agressif. Tout ça a fini par tuer le cinéma européen en tant qu’industrie. Le seul pays qui a laissé perdurer un cinéma populaire actif en Europe, c’est la France, surtout avec la politique d’aide aux films Art et Essai.
Comment es-tu tombé dans la marmite du ciné-cul?
Quand j’étais enfant, j’étais très attiré par ces affiches érotiques. Il y a d’ailleurs dans l’exposition tout un mur consacré aux pavés de presse du cinéma ABC, le dernier cinéma porno à Bruxelles et en Europe(NDLR: À ne pas confondre avec le cinéma ABC d’Art et d’essai, son homonyme à Toulouse!). En me replongeant dans tout ça, j’ai retrouvé toutes mes émotions d’enfant : Chaque mercredi, le journal arrivait et c’était les sorties ciné de la semaine. Je découpais ces petits pavés, avec tout types de films, dont les films érotiques. Mon père était aussi un très grand conso’mateur de littérature érotico-sadique, notamment des S.A.S. Cela détonait dans les 60′s! HEY DITES, NE METTEZ PAS LES PIEDS SUR LES AFFICHES, VOUS AU FOND!!! (NDLR: Un faux pas d’un visiteur un peu drunk sur une illus posée au sol!)
Le cinéma porno ancien format, ce n’est pas 5 minutes de plaisir intense sur les 1h30 du film, agrémenté d’une affiche super accrocheuse?
Oui, l’affiche du film est destinée à faire rentrer un maximum de public dans la salle, c’est clairement une communication agressive et efficace. Effectivement il y a souvent plus sur l’affiche que dans le film. Ces réalisateurs ne se considéraient pas réellement comme des artistes mais plutôt comme des artisans. Le but, c’est de rapporter de l’argent au producteur. C’est vrai qu’actuellement, c’est peut être une philosophie difficile à comprendre puisque nous avons une vision du cinéma un peu Arty ou Art et Essai. À l’époque, c’était vraiment une industrie qui faisait vivre beaucoup de gens, avec plus de 300 sorties annuelles, une vraie machine qui tournait à plein régime!
Donc avec le dictionnaire ou Orgasmorama 1 et 2, tu as voulu rendre à César…
…Oui, j’ai voulu embrasser le rôle d’archéologue de l’impossible! Ma mission était d’aller chercher des pans méconnus de toute cette culture populaire et de les remettre d’actualité afin de les faire revivre à mon tout petit niveau.
Dans le porno actuel, il y a encore quelque chose qui te fait bander?
Actuellement, je pense que l’on arrive dans une sorte de catalogue d’obsessions. Ce n’est plus vraiment des films, on en arrive à une sorte de violence extrême dans les rapports homme/femme. Il faut que ça se traduise par des sortes de… scènes de guerre!
On a un peu paumé toute charge érotique en route, non?
Oui, je ne sais pas trop où l’on en est à ce niveau là. Oui, il y aussi toute cette volonté internet induite par l’accessibilité immédiate et la culture de l’instant. On est dans la nano-seconde et dans la volonté de repousser les limites au delà de ce qui est imaginable. Bon, je n’ai pas de jugement par rapport à ça, mais avec mon passé, ma culture et ma démarche, je ne me retrouve pas là dedans, ça ne m’intéresse pas.
Le corps des acteurs/actrices a changé aussi, non?
Oui, lorsque l’on voit les corps des films d’époque, ce sont des vraies femmes, non retouchés par la chirurgie à tous les étages. Il y en a certaines qui on un sein plus grand que l’autre, elle se sont pas épilées, pour moi, c’est une espèce d’ode à la touffe nature! Actuellement, ça n’existe plus! On n’est plus dans un rapport cru à la chair, on est dans une recherche de perfection plastique combinée avec une brutalité extrême. Je ne sais pas vers quoi on va aller dans le futur, mais je ne vois pas beaucoup d’intérêt en ce qui me concerne.
C’est quoi ton plaisir inavouable dans tout ça?
Mon plaisir inavouable, c’est de regarder quatre films d’exploitation en accéléré! Il y a toujours un moment magique et à ce moment là, on peut stopper. C’est d’ailleurs une particularité de ces films : ils sont tout à fait visibles en accéléré!
Un réalisateur/trice, un acteur/trice auquel tu tiens en particulier?
J’aime beaucoup José Bénazéraf. Son travail est d’ailleurs redécouvert actuellement puisque certains de ses films ressortent en DVD et pour moi, c’est vraiment une sorte de Bad Boy du cinéma érotique. Après, il a vraiment tourné du porno en vidéo jusqu’à assez tard. Il a vraiment donné sa vie entière à ce type de cinéma. Il cherchait à repousser les limites mais avait quand même énormément de fond dans son travail. Il y a aussi un film que j’apprécie tout particulièrement de cet auteur, c’est Joe Caligula.C’est un film gentiment érotique mais aussi très sauvage. À l’époque, il a été totalement interdit en 69 pour amoralité, débauche de violence, etc. Ce qui est intéressant, c’est qu’il travaillait beaucoup avec les filles des cabarets, un peu comme Russ Meyer, donnant une dimension quasi documentaire à son travail, influencé Nouvelle Vague. C’est fascinant lorsqu’on compare son travail à celui de Godard!
Ahhh, Russ Meyer et ses giga boobs qui crèvent l’écran…Ça te fait rire lorsque dans les rétrospectives assez convenues, estampillées Art et Essai, on rediffuse par exemple Faster Pussycat Kill! Kill! ?
Russ Meyer, j’ai énormément de respect pour ce qu’il a fait mais il aurait pu être manager de catch ou forain de par sa mentalité de « Un franc c’est un franc ». Il a vraiment gagné énormément d’argent en investissant ses fonds propres, un vrai fin renard! Actuellement, on a un certain regard sur ses films mais à l’époque c’était quoi? Des films américains de drive in! Moi, je me suis consacré aux films Européens, moins représentés par la suite mais tous étaient des films de double programme : avec le même ticket de ciné, vous pouviez voir un film policier et un film érotique…
Formule dont Tarantino et Rodriguez ont rendu hommage avec le diptyque Grindhouse ! Un dernier mot Jimmy ?
Pour moi, ça a été intéressant de présenter des affiches turques…
…De part le contexte actuel ?
Oui, d’une part. On assiste à une vraie crise politique et sociale gigantesque qui n’est pas prête de s’arrêter là. Présenter ces affiches, c’est montrer qu’au début des années 70, c’était autre chose. Et c’est vrai que la plupart des visiteurs de l’exposition ignoraient totalement l’existence d’un cinéma érotique et pornographique turc.
Un énorme merci à toi Monsieur Jimmy Pantera!
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